[Bar - ? ] Before I Fall ♣ ft Joshua L.

Lorsqu’il se réveilla, il mit un certain temps à se rendre compte de la situation. Encore une fois, il crut à la présence de Gaël. Sentant deux bras enlacer sa taille, il se blottit un peu plus contre le corps chaud, l’esprit embrumé, emplit de vieux souvenirs si vivaces qu’ils paraissaient finalement réels.
Ouvrant faiblement les yeux, le retour à la réalité fut sans pitié. Cet homme n’était pas Gaël. Evidemment. S’éloignant soudainement de l’inconnu qui dormait dans son lit –il ne se rappelait de son nom – Joshua passa une main sur son visage. C’était toujours la même chose. Sans cesse les souvenirs, l’impression que tout recommençait, que tout était redevenu comme avant. Mais à chaque fois, la désillusion le frappait de plein fouet. Il avait pensé qu’avec le temps ça passerait. Il avait pensé qu’il souffrirait moins. Il avait pensé que ce serait plus supportable, que la blessure aurait cicatrisé. Il avait pensé beaucoup de choses. Bien peu d’entre elles s’étaient avérées exactes.

Poussant un profond soupire, mécaniquement, il sortit du lit sans se préoccuper de l’homme dans son lit. Un aventure d’une nuit, encore. C’était toujours comme ça. Enfilant un boxer qui traînait à terre, il tenta de remettre ses idées en place. Il ouvrit les volets, la lumière vive illumina son appartement miteux et lui explosa la rétine, il plissa les yeux. Premier réflexe, il attrapa un paquet de cigarettes qui traînait à terre. S’empara du discret briquet en argent – vestige d’une époque révolue- qui pendait sur son torse. Alluma une clope, la porta à ses lèvres pour en inspirer une grande bouffée, accueillant avec soulagement la nicotine dans ses poumons. Il s’accouda sur le rebord de la fenêtre, les yeux fixés sur ses pensées. L’après-midi avait déjà commencé. Pour lui, c’était sa matinée. Joshua vivait la nuit. Elle était pour lui bien plus attrayante et salvatrice que le jour. La nuit le séduisait, avec ses charmes et les vices qui allaient avec. Et elle était bien plus à l’image de ce qu’il était lui-même. Sombre.

Il finit sa cigarette, se retourna, remarqua que le bel éphèbe s’était réveillé et qu’il le fixait. Haussant les épaules, il se dirigea vers la salle de bain en lui indiquant qu’il allait prendre une douche, et que pendant ce temps là il pouvait faire comme chez lui. De toute façon, ce n’était pas comme s’il avait quelque chose à préserver. Ce genre de choses, il les avaient presque toutes brûlées sous la colère.
Il entra sous la douche après avoir déposé son pendentif sur le côté du lavabo, ouvrit le robinet d’eau chaude. Fermant les yeux, il laissa l’eau jaillir à pleine puissance sur ses épaules , son dos, son crâne, martelant sa peau, achevant de le réveiller. Passant ses deux mains sur son visage machinalement, il se décida finalement à se laver.

Lorsqu’il sortit de la salle de bain, une serviette autour de la taille, l’inconnu était parti, laissant un numéro de téléphone sur les draps. Joshua s’empara du bout de papier et y referma son poing, avant de le jeter à la poubelle. Ne jamais coucher plusieurs fois avec la même personne. Il s’empara de sa vieille guitare acoustique posée à côté de son doudou Bob l’Eponge –à qui il balança un ‘Hey Darling’ habituel- il s’assit sur le rebord du lit et ses doigts pincèrent les cordes pour de douloureuses mélodies, fumant clope sur clope, crachant plutôt que chantant des textes teintés de peines, de rage et d’incertitudes.

Enfilant sans grande conviction un jean noir et un t-shirt à col v blanc qui le mettait parfaitement en valeur, le britanico-grec fourra ses draps qui devenaient bien trop sales dans le lave-linge de fortune qu’il avait eu moitié prix par un ami, un ami bien trop présent pour lui, à qui il envoya un message pour lui signaler qu’il était toujours en vie. Kieran. Il était devenu son unique repère dans cette vie qui dorénavant lui échappait. Il se contentait de répéter sans cesse les mêmes gestes, les mêmes paroles, les mêmes actes. Toujours, faire les mêmes choses. Survivre. Essayer de ne pas se laisser trop aller dans des pulsions destructrices. Ne serait-ce que pour Kieran, qui faisait tant pour lui. En retour Joshua ne faisait presque aucun effort. Il n’y arrivait tout simplement pas. Comment faire pour s’en sortir ? Il n’avait plus aucune volonté, il n’était plus qu’un fantôme, un automate, un piètre acteur qui essayait un rôle à longueur de temps. La vie n’avait plus de sens pour lui, il se contentait de prendre les jours l’un après l’autre sans ce soucier du lendemain. Sans projets, sans prévisions, sans rêves.
22h00, et Joshua était fidèle à son poste, dans un pauvre bar pas très bien fréquenté, servant les clients avec ce faux sourire et ce discours qui lui était caractéristique quand il adoptait son rôle de barman. Dans quelques heures, il quitterai le pub et se rendrait dans une discothèque endosser le même rôle. Bien obligé de bosser s’il ne voulait pas finir clodo, de toute manière il avait besoin d’argent pour se procurer tout ce dont il était accro. Tabac, alcool, drogue. Un bon petit budget. Il bossait aussi pour se sentir vivant. Utile, en quelque sorte. Pour se sentir exister. Pour se prouver qu’il était capable de faire quelque chose. Chaleureux avec les nouveaux arrivants, familier avec les habitués, charmant pour ceux qui le séduisaient ouvertement. En somme, cette soirée était comme toutes les autres, jusqu’à ce qu’elle s’installa au bar.

Joshua l’observa du coin de l’œil, c’était la première fois qu’elle venait ici. Il ne l’avait jamais vu, il avait une très bonne mémoire. Il la considéra un moment remettre à sa place un pauvre gars déjà bien éméché, qui partit après avoir prit sa commande, sûrement frustré par l’attitude de la jeune femme. Josh esquissa un léger sourire, c’était toujours assez distrayant d’assister à ce genre de scène, il n’en voyait pas tant que ça. La plupart des filles présentes ici étaient soient des filles faciles, soient des filles déjà bien trop bourrées. Jamais des filles avec un tel tempérament que cette jeune femme qui venait de lui faire sa commande. S’exécutant, sans se formaliser qu’elle lui ait ajouté une marque de politesse un peu tard –il faut dire qu’il s’en fichait complètement et que surtout la plupart des gens ne prenaient pas la peine de lui dire ‘s’il te plait’- il revint vers elle quelques secondes plus tard en déposant son verre de whisky coca avec des glaçons.

« Tiens. Ca fera 4 euros 60, s’il te plait.» lui dit-il en lui adressant un sourire, s’asseyant ensuite sur son tabouret, portant sa cigarette à ses lèvres pour en tirer une longue bouffée.

La soirée était très calme, mais ce n’était pas un jour de la semaine où il y avait du monde. Machinalement, Joshua jouait avec la chaîne en argent qui retenait son briquet sous son T-shirt, jetant quelques coups d’œil à la nouvelle venue. Etrangement, elle n’avait pas l’air d’aller très bien. Il y avait des signes qui ne trompaient pas. Des muscles un peu crispées, ce léger moment d’absence qu’elle avait eu juste après qu’il ait servi l’autre client aux cheveux longs noirs. Peut-être se faisait-il des films, peut-être qu’il était totalement à côté de la plaque, mais il avait cette désagréable impression qui l’avait envahi, une sorte d’intuition. Et son intuition ne le trompait rarement.

Il posa ses coudes sur le comptoir, croisant les bras après avoir terminé sa cigarette. Voyant quelques minutes plus tard qu’elle avait déjà terminé son verre, Joshua haussa un sourcil, la regarda un instant avant de lâcher :

« T’en veux un autre ? »

Sans se préoccuper de la réponse, il quitta son tabouret, et posa un deuxième verre devant elle.

« Cadeau de la maison », dit-il simplement, sans aucun regard ou propos suggestif. Il n’était pas du genre à ‘draguer’ de cette misérable façon, et encore moins une femme.

Son patron le réprimandait pour cette fâcheuse tendance qu’il avait développé à offrir des verres à des clients qu’il choisissait lui-même, selon leurs comportements et ses ressentis à lui. Mais Joshua était un barman très populaire, aussi était-il plutôt libre dans ses actes.

Le barman ne sembla pas se soucier plus que ça de Kara, et lui apporta sa commande. Il apposa le verre sur le comptoir et la jeune femme s’enivra un instant de l’odeur particulière du whisky. Elle n’était pas grande connaisseuse, elle assumait ses lacunes . Elle porta doucement le verre à ses lèvres. La brûlure douce de l’alcool sucré enflamma sa gorge. Elle savoura la première gorgée, noyant ses premières fausses notes dans le tintement des glaçons. L’homme qui l’avait servie lui annonça le prix et lui offrit un sourire. Un de ceux qu’on offre comme un automate, aux clients qui vous rapporte de l’argent, Kara ne s’y trompa pas. D’un geste machinal, elle tournait et retournait la boisson d’un poignet souple. Et à son grand étonnement, le serveur se posa sur son tabouret et alluma une cigarette. En vérité, il n’y avait pas foule dans le bar, et les présents étaient déjà servis et plongés dans leurs boissons, pour la plupart alcoolisée, et pas qu’un peu. Elle lorgna la sienne puis la clope du serveur. Même si elle avait fini un paquet et entamé un nouveau sur la route, elle ne s’en serait pas privé. Elle en profita pour détailler plus amplement le serveur. Moins de la trentaine d’année, des cheveux roux en bataille, vêtu d’un tee shirt blanc, pour ce qu’elle voyait. ‘Good Looking » Et ça pouvait être considéré comme un euphémisme, car il est vrai qu’il était charmant. Pas forcément le genre de la jeune femme, mais charmant tout de même. On aurait pu lui reprocher de toute suite laissé libre cours à ses arrière-pensées, mais la demoiselle s’en contrefichait grandement, se remettant comme elle le pouvait de ses émotions. Elle évita soigneusement de croiser le regard bleu de l’homme et avala une nouvelle gorge du liquide ambré, foncé par le soda. Les glaçons ne firent pas de cadeau à ses dents, elle grimaça douloureusement sous le coup de froid.

Il jouait, comme absorbé dans ses pensées, avec une chaine autour de son cou. Elle suivit de son regard brun le tracé de cette dernière et dériva sur le comptoir où il avait posé ses avant-bras, dans la même position que l’italienne. Le silence avait pris place, elle ne savait pas quoi dire, en avait-elle vraiment l’envie ? Elle finit son verre sans plus de cérémonies, dans l’optique d’en commander un nouveau. Elle son verre et lui sa cigarette. 4.60€ donc, ça lui revint en mémoire. Elle extirpa difficilement un billet de 20 sur la table, et le glissa vers lui.

♣ T’en veux un autre ?

La seconde prise de paroles du barman confirma les idées de Kara : il était britannique. Son accent ressortait particulièrement sur ses fins de phrase. Elle s’amusa un instant de sa découverte, elle ne se permettait plus de douter. Dans ses pensées sur le monde anglo-saxon, elle ne répondit pas tout de suite. Il prit les devants, et lui apporta un second verre de whishy-coca sans plus d’histoires.

♣ Cadeau de la maison.

Elle avait vraiment choisi le bon endroit, comme quoi ça se joue à l’instinct parfois. Ca devait être la première place où lors de sa soirée de découverte, elle se voyait offrir un verre. Elle fut séduite et se promit de revenir un de ces jours. De toute manière, elle n’était pas prête de partir pour ce soir. Elle attrapa un glaçon de son verre et entreprit de le suçoter comme une gamine. Le geste ne se voulait pas forcément provoquant, mais les esprits les plus mal tournés y verraient un message subliminal éloquent. La jeune femme se refusait à croiser le regard azur de l’homme aux cheveux flamboyants qui s’était à nouveau posé sur son tabouret, et scruta la salle à la recherche d’une proie potentielle. Puis se résigna à son verre d’alcool, qu’elle descendit de moitié.


♣ Oh, pardon et merci… elle désigna son verre … pour ça.

Elle s’excusa de son manque de politesse flagrant, mais elle devait un remerciement, même si ce n’était pas dans ses habitudes. Elle mourrait d’envie de continuer sa phrase, qu’il réponde quelque chose, qu’ils engagent une discussion. Mais rien ne venait. La stupidité de la chose la fit sourire, couplé à la chaleur qui irradiait doucement mais surement son corps. Elle ne se soumettait pas facilement à l’alcool en temps normal, mais elle n’avait rien avalé de la journée. Elle se réjouit de sa propre réaction à la boisson, plus vite elle serait éméchée, plus vite la journée se terminerait, et avec ça s’envoleraient ses préoccupations et ses souvenirs. Oui, programme parfait, elle se saoulerait ici et danserait ailleurs, car pour l’ambiance c’était pas vraiment ça dans le bar. Elle fit par de son avis.


♣ Hmm, c’est plutôt calme par ici. Pas plus mal pour toi, non ?

Elle tourna pour de bon la tête vers lui, et sourit en retour. Un sourire un coin, pour mettre à l’aise, peut-être aussi pour charmer. Elle but une nouvelle gorgée, ayant terminé son glaçon et en attrapa un second pour lui faire subir le même sort. Elle sortit aussi de la poche de son cuir un paquet de cigarettes. Le briquet se porta disparu, alors elle se pencha par-dessus le comptoir et attrapa délicatement la chaine du barman et emprunta son briquet/pendentif sans aucune gêne. La clope s’alluma docilement et la première bouffée enfuma légèrement l’homme, avant que Kara ne se rassoie correctement, et savoure la nicotine se mêlant avec le goût de l’alcool encore présent.

Dans chacun de ses gestes un aveu, un secret dans chaque attitude,ses moindres facettes trahies bien mieux que par de longues études. Un pied se balance, une impatience, et c'est plus qu'un long discours. Là, dans l'innocence et l'oubli : tout était dit.
On ne ment qu'avec des mots, des phrases qu'on nous fait apprendre.On se promène en bateau, pleins de pseudo de contrebande.On s'arrange on roule on glose on bienséance... Mieux vaut de beaucoup se fier aux apparences, aux codes des corps, au langage de nos inconsciences.